Covid-19 et intelligence artificielle
Souvenons-nous des annonces hyperboliques des années 2015. Avenir écrit d’avance...futur inéluctable...intelligence artificielle toujours plus puissante jusqu’à en devenir menaçante...
Bill Gates, Elon Musk, Stephen Hawking nous avertissaient solennellement: l’humanité était menacée. Rien de moins.
A brève échéance, les médecins seraient remplacés...La prédiction la plus saisissante a été celle de Geoffrey Hinton, un des fondateurs du Deep Learning. En 2016, il comparait les radiologues au coyote du dessin animé qui continuait à courir dans le vide sans s’apercevoir que le bord de la falaise était dépassé et qu’il n’avait plus rien sous les pieds. Il assénait: « Il est évident que le Deep Learning aura remplacé les radiologues dans 5 à 10 ans ».
La pandémie COVID aurait donc du être l’occasion d’une éclatante démonstration avec prise en main rapide et efficace de la réponse à la pandémie par les grands acteurs de l’IA.
2021. L’Organisation Mondiale de la Santé publie un rapport sur l’éthique et la gouvernance de l’IA qui examine, entre autres sujets, la place qu’elle a occupée dans la crise COVID. L’objectif poursuivi par l’institution internationale est de réguler le foisonnement d’applications qui envahissent le champs médical avec une qualité et un service rendu très inégaux.
Le texte réalise une synthèse technique qui nous donne l’occasion de prendre quelques nouvelles de l’IA médicale. Où donc en est-on précisément en 2021?
Pour l’essentiel, l’IA est développée dans le secteur du recueil de données et de l’analyse statistique, surtout à des fins de santé publique. La question de l’emploi reste prégnante car les professionnels de santé doivent apprendre à travailler avec l’IA mais le rapport ne fait pas état de l’implantation massive des dispositifs qui ont défrayé la chronique il y a quelques années et qui seraient en train de supplanter les professionnels. Pour le moment, sur la relation entre professionnels et IA, nous en restons au stade de la prospective. L’OMS observe que, bien que l’aide au diagnostic soit la plus utilisée parmi les applications de l’IA en médecine, elle n’est pas encore implantée dans le quotidien de la décision médicale. Elle ajoute le constat que peu de systèmes ont été évalués par des essais cliniques.
Sans chercher à minimiser l’impact futur et prévisible de l’IA, il est intéressant de relever dans le rapport de l’OMS le rappel de quelques historiques qui nous encouragent à relativiser l’ « enthousiasme technologique ».
En 2013, Google annonce être capable de prédire les épidémies de grippe avant les agences sanitaires en se basant sur les recherches liées ( complications, traitements, symptômes…). L’augmentation du nombre de requêtes prédisait l’arrivée de l’épidémie. Malheureusement, le système a surestimé la prévalence de la grippe entre 2011 et 2013. En effet, les habitudes de recherche des internautes avaient changé. Le modèle n’ayant pas été ré-entrainé, il n’a pas pu les détecter.
Concernant la pandémie COVID 19, les applications IA ont concerné la télé-médecine et les applications de traçage. L’OMS relève que, bien que de nombreux usages possibles de l’IA aient été identifiés pendant la pandémie, leur impact réel a été modeste. Les limites sont celles soulignées par de nombreux experts médicaux à travers le monde, à savoir la mise sur le marché d’applications dont l’utilité n’a pas été évaluée scientifiquement. L’OMS se positionne clairement en affirmant que l’urgence ne justifie pas que l’on déploie des technologies dont l’efficacité n’a pas été prouvée. Il y a eu plusieurs exemples d’applications inefficaces. Ainsi, le NHS britannique a lancé une application qui devait notifier aux sujets concernés de s’auto-isoler. 19 millions l'ont téléchargé. Mais elle était mal programmée. Un nombre très limité de personnes a reçu le conseil de s’isoler, avec pour effet, l’exposition au COVID d’un grand nombre d’utilisateurs au lieu d’en être protégés!
Mais l’IA, ce sont aussi et surtout-serait-on tenté d’écrire ! -des perspectives. Elles sont nombreuses et il n’est évidemment pas possible de toutes les détailler. Néanmoins, il faut remarquer qu’elles ne concernent que l’amélioration et la montée en puissance de dispositifs numériques déjà existants (applications de suivi, analyse de données de surveillance médicale..). Parmi elles, celle qui semble la plus intéressante est le remplacement intégral de l’expérimentation animale par la simulation numérique. Attendu pour 2040.
Que peut-on donc dire de l’IA en 2021?
Clairement, elle change la donne dans la façon dont les soins sont délivrés mais pas dans le sens annoncé par les gourous du marketing. Il n’y a pas de machine autonome. Il y a des logiciels qui recueillent des données, envoient des alertes, donnent des indications et augmentent les performances des technologies numériques. Ces logiciels ont des propriétaires très humains. L’IA n’est pas un être autonome en gestation mais un outil affecté à une tâche précise. Reste à savoir comment utiliser cet outil. Et surtout, qui doit en maîtriser le développement et la diffusion. Car, nous avertit l’OMS, le risque est réel de voir se créer une offre de soins parallèle, très commerciale, située en dehors des systèmes de soins officiels, de ses circuits de validation scientifique et de ses mécanismes de remboursement.
L’impact de l’IA sur la gestion de la crise COVID a été modeste. Les résultats n’ont pas été à la hauteur des promesses de l’absurde communication des géants du numérique. Déconnectée des réalités scientifiques, elle crée des désillusions délétères et masque les vrais succès. Pourtant, l’IA apporte déjà beaucoup et il faut la développer pour améliorer la performance du travail humain. Oui, du travail humain car l’intelligence artificielle est une révolution informatique, certainement pas une révolution des neurosciences.
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